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mercredi, juin 8 2011

[Article] Marinaleda : un modèle d’auto-gestion unique en Europe

Article datant d'avril 2010 par Andrea Duffour trouvé ici.

" marinaleda.jpgDepuis l’alerte google Alternatives au capitalisme j’ai récemment découvert l’existence de MARINALEDA, une commune de 2645 habitants en Andalousie « où Marx vivrait s’il était encore en vie, avec zéro chômage, zéro policier et des habitations à 15 euros par mois » (1). Une alternative au capitalisme réalisée à moins de 2000 km de chez nous et qui fonctionne depuis plus de 30 ans sans que je n’en aie jamais entendu parler ? A la première occasion, c’est donc sac à dos, train, bus et autostop que j’irai pour vérifier si cette belle utopie existe vraiment…

Comme c’est Pâques, je tombe en pleine Semana Santa. Au village voisin on m’avertit : « Leur maire est un fou, quand nous autres, Espagnols, faisons des processions religieuses, eux ils font la fête pendant 5 jours »

J’apprends que la fête de la paix qui tombe durant la Semaine Sainte y est effectivement une tradition depuis plusieurs années et beaucoup de jeunes de Sevilla, Granada ou Madrid ont rejoint les villageois. Des lectures, des films ou une conférence, en solidarité avec la Palestine, ainsi qu un appel au boycott des produits israéliens ouvrent les soirées de concerts et de fête. Pour les nuits, l’immense complexe poly-sportif reste ouvert pour loger les visiteurs de l’extérieur. Une première auberge est en construction.

En tant que membre de l’association de solidarité Suisse-Cuba, je m’étais déplacée pour voir s’il existait effectivement une expérience socialiste un peu similaire à la révolution cubaine ici en Europe et j’en ai eu pour mon compte.

Le droit à la terre et au travail

A Marinaleda aussi, il a fallu d’abord passer par une réforme agraire. « La lutte révolutionnaire du peuple cubain a été une lumière pour tous les peuples du monde et nous avons une grande admiration pour ses acquis », m’explique Juan Manuel Sanchez Gordillo, maire communiste, réélu depuis 31 ans. Il était le plus jeune édile d’Espagne en 1979. En 1986, après 12 ans de luttes et d’occupations où les femmes ont joué le rôle principal, ce village a réussi à obtenir 1200 ha de terre d’un grand latifundiaire, terre qui a aussitôt été redistribuée et transformée en coopérative agricole de laquelle vit aujourd’hui presque tout le village. « La terre n’appartient à personne, la terre ne s’achète pas, la terre appartient à tous ! ».

A la ferme de la coopérative, EL HUMOSO, les associés travaillent 6.5h par jour, du lundi au samedi, ce qui donne des semaines de 39 h. Tout le monde a le même salaire, indépendant de la fonction. 400 personnes du village les rejoignent pendant les mois de novembre à janvier (olives), et 500 en avril (habas, haricots de Lima).

La récolte (huile d’olive extra vierge, artichauts, poivrons, etc.,) est mise artisanalement en boite ou en bocal dans la petite fabrique HUMAR MARINALEDA au milieu du village où travaillent env. 60 femmes et 4-5 hommes en bavardant dans une ambiance décontractée. Le tout est vendu principalement en Espagne. Une partie de l’huile d’olive part pour l’Italie qui change l’étiquette et la revend sous un autre nom. « Nous avons la meilleure qualité, mais malheureusement, c’est eux qui ont les canaux pour la commercialisation » m’explique un travailleur de la ferme. Avis donc aux magasins alternatifs de chez nous pour leur proposer un marché direct…

Les bénéfices de la coopérative ne sont pas distribués, mais réinvestis pour créer du travail. Ça a l’air si simple, mais c’est pour cela que le village est connu pour ne pas souffrir du chômage. En discutant avec la population, j’ai pourtant appris qu’à certaines époques de l’année, il n’y a pas assez de travail dans l’agriculture pour tous, mais que les salaires sont tout de même versés. Comme à Cuba, l’habitation, le travail, la culture, l’éducation et la santé sont considérées comme un droit. Une place à la crèche avec tous les repas compris coûte 12 euros par mois. A nouveau, ça rappelle Cuba où l’éducation est gratuite, depuis la crèche jusqu’à l’université.

Les maisons auto-construites

Plus de 350 maisons ont déjà été construites par les habitants eux-mêmes. Il n’y a pas de discrimination et l’unique condition pour une attribution est de ne pas déjà disposer d’un logement. La municipalité met à disposition gratuitement la terre et les conseils d’un architecte, Sevilla fait un prêt des matériaux. Les maisons ont 90m2, deux salles d’eau et une cour individuelle de 100m2 où on peut planter ses légumes, faire ses barbecues, mettre son garage ou agrandir en cas de besoin. Comme dans certaines régions à Cuba, un groupe de futurs voisins construisent ensemble pendant une année une rangée de maisons mitoyennes sans savoir encore laquelle sera la leur. Une fois le logement attribué, les finitions, l’emplacement des portes, les ouvertures peuvent être individualisées par chaque famille. Le loyer se décide en réunion du collectif. Il a été arrêté fixé à moins de 16 euros par mois. Les constructeurs deviennent ainsi propriétaires de leur maison, mais elle ne pourra jamais être revendue. (En dehors de l’auto-construction, j’ai rencontré une famille qui loue à 24 euros par mois ainsi que la seule ouvrière de la fabrique Humar Marinaleda qui vient de l’extérieur et qui paye, elle, 300 euros pour son logement. Les personnes qui souhaitent vivre à Marinaleda doivent y passer deux ans d’accoutumance avant une décision définitive).

Le coiffeur, qui fait plutôt partie de la minorité de l’opposition, est propriétaire de sa maison et se plaint de devoir travailler quand même. A ma question, pourquoi il ne vend pas sa maison à une des nombreuses familles espagnoles qui aimeraient venir rejoindre ce village, il dit qu’il y a tout de même aussi des avantages de rester ici. (L’opposition serait financée par le PSOE, Partido socialisto obrero espagnol, selon certaines sources).

Ce samedi de Pâques, les intéressé-e-s sont invités à la mairie pour une petite conférence. Le maire nous explique son point de vue sur différents points avant de répondre à nos questions. En voici quelques extraits ou résumés :

S’organiser

« Il faut lutter unis. Au niveau international, nous sommes connectés avec Via campesina, puis nous nous sommes organisés syndicalement et politiquement », nous communique le maire. Esperanza, 30 ans, éducatrice de profession, conseillère sociale bénévole de la municipalité, m’avait déjà expliqué ceci la veille au « syndicat », bar et lieu de rencontres municipal : « Ici, nous avons fait les changements depuis le bas, avec le SAT, syndicat de travailleurs d’Andalousie, anciennement SOC, syndicat fondé en 76, juste après Franco, et avec la CUT, collectif unitaire de travailleurs, parti anticapitaliste ».

Pas de gendarme

« Nous n’avons pas de gendarmes ici - ça serait un gaspillage inutile » Les gens n’ont pas envie de vandaliser leur propre village. « Nous n’avons pas de curé non plus –gracias à Dios ! » plaisante le maire. La liberté de pratiquer sa religion est pourtant garantie et une petite procession religieuse timide défile discrètement, sans spectateurs, dans le village en évitant la place de fête.

Le capitalisme

« La crise ? Le système capitaliste a toujours été un échec, la crise ne date pas d’aujourd’hui. L’avantage de la crise : le mythe du marché est tombé (...) Les réalités sont toujours les mêmes : quelque 2% détiennent 50% de la terre (…). Ceux qui veulent réformer le capitalisme veulent tout changer pour que rien ne change ! Dans le capitalisme, on a des syndicats de régime et non pas des syndicats de classe, il y a beaucoup d’instruments d’aliénation, pas de liberté d’expression, seulement la liberté d’acquisition (...) A Marinaleda, nous serons les premiers quand il s’agit de lutter et les derniers à l’heure des bénéfices. »

Démocratie

« Nous pratiquons une démocratie participative, on décide de tout, des impôts aux dépenses publiques, dans des grandes assemblées. Beaucoup de têtes donnent beaucoup d’idées. Nos gens savent aussi qu’on peut travailler pour d’autres valeurs qu’uniquement pour de l’argent. Quand nous avons besoin ou envie, nous organisons un dimanche rouge : par exemple certainement dimanche après cette fête, il y aura assez de jeunes volontaires qui viendront nettoyer la place ou préparer un petit déjeuner pour les enfants et tout ceci pour le plaisir d’être ensemble et d’avoir un village propre (…). La démocratie doit être économique et sociale, pas seulement politique. Quant à la démocratie politique, la majorité 50%+1 ne sert à rien. Pour une vraie démocratie, il faut au moins 80-90% d’adhérents à une idée. D’ailleurs, toutes nos charges politiques sont tous sans rémunération ».

Luttes futures et amendes…

Le maire appelle à participer à la grève générale annoncée par le SA pour ce 14 avril, en solidarité avec les sans terres en Andalousie qui ne bénéficient pas encore de leur droit à la terre et aussi pour nos revendications à nous. Il préconise aussi la nécessité de nationaliser les banques, l’énergie, les transports, etc. Nous devons 20-30 millions de pesetas d’amendes pour nos luttes différentes…

La culture, les fêtes

« Nous faisons beaucoup de fêtes avec des repas communs gratuits, et il y a toujours assez de volontaires pour organiser tout cela. La joie et la fête doivent être un droit, gratuites et pour tous. Ce n’est pas la mayonnaise des médias qui vont nous dicter ce qui doit nous plaire, nous avons une culture à nous. »

Expérience sociale unique en Europe

Avec un sol qui n’est plus une marchandise, mais devenu un droit pour celui qui veut le cultiver ou l’habiter, une habitation pour 15 euros par mois, du sport ou la culture gratuits ou presque (piscine municipale 3 euros pour la saison), un sens communautaire de bien-être, je pense pouvoir dire que Marinaleda est une expérience unique en Europe.
Chaque samedi d’ailleurs, le maire répond également aux questions des villageois présent-e-s à la maison communale sur la chaîne de la TV locale. Cela nous rappelle l’émission « Alô présidente » de Hugo Chavez, un autre leader pour lequel Gordillo a exprimé son admiration.

La désinformation

Apaga la TV, enciende tu mente - Eteins la TV, allume ton cerveau, ce premier mural m’avait frappé, il se trouve jusqu’en face de la TV locale… A ma question en lien avec la désinformation, Juan Miguel Sanchez Gordillo me fait part de son plan d’écrire un livre sur « Los prensatenientes » – la demi-douzaine de transnationales qui possèdent les médias dans le monde. « Pendant que la gauche écrit des pamphlets que personne ne lit, la droite économique, la grande bourgeoisie, installe chez toi plein de canaux de télévision racontant tous les mêmes valeurs et propageant la même propagande mensongère. (…) Au niveau de l’information, l’éducation est très importante » et, en ce qui concerne le programme national de l’éducation, cela ne lui convient pas. Jean Manuel Sanchez Gordillo me confie donc qu’il compte venir bientôt en Suisse pour étudier notre système d’éducation qui est organisé au niveau cantonal... Probablement il pense que nous sommes une vraie démocratie avec des programmes scolaires indépendants du pouvoir…

Des expériences alternatives au capitalisme qui font peur

Par rapport aux médias, la question que je me pose à nouveau est la suivante : Pourquoi l’expérience de Marinaleda est si mal connue en Espagne ainsi qu’auprès de nos édiles ? Pourquoi Cuba, cas d’école au niveau mondial en ce qui concerne la désinformation, mérite un budget annuel de 83 millions de dollars de la part des Etats-Unis, consacrés uniquement au financement de la désinformation et des agressions contre ce petit pays ?

Y aurait-il des alternatives au capitalisme qui fonctionnent depuis longtemps et qui font si peur à certains ?

Andrea Duffour

Association Suisse-Cuba

http://www.cuba-si.ch

Pour plus d’information : http://www.marinaleda.com

(1) Nouveau Parti Anticapitaliste, http://www.npa2009.org, article du 10.1.2010 "

Le théâtre municipal de Marinaleda :

mardi, mai 10 2011

[Article] Interview de Rhéa Jean, philosophe, au sujet de la prostitution

Article très intéressant trouvé ici, sur le site http://www.pourunesocietesansprostitution.org/ du Mouvement du NID. L'Interview de Rhéa Jean est issue de : Prostitution et Société (P.-S.) numéro 156 / janvier - mars 2007.

"Être abolitionniste, c’est défendre la liberté sexuelle !"

P.-S. :

Pour vous, c’est bien parce que les abolitionnistes sont attachés à la liberté sexuelle, dont se revendiquent les réglementaristes, qu’ils s’opposent à la professionnalisation de la prostitution ?

Rhéa :

Les réglementaristes reprochent aux abolitionnistes de privilégier une vision "essentialiste" de la sexualité, en clair une idée de ce qui serait "bien" ou "pas bien", plutôt que les choix des individus. Or, pour moi, l’abolitionnisme est loin d’être en contradiction avec les valeurs de droit à l’autonomie, de liberté individuelle et de droit à la vie privée que prétendent défendre les libéraux.
Ce n’est pas au nom d’un ordre social ou d’une définition de la "normalité" sexuelle que la plupart des néoabolitionnistes s’opposent à la prostitution. C’est justement au nom de la liberté de chaque individu de pouvoir vivre sa sexualité selon ses choix et préférences, et non selon la nécessité économique. Les néoabolitionnistes ne cherchent pas à dire qu’une pratique sexuelle est meilleure qu’une autre ; ils pensent plutôt que l’expression des choix personnels n’est pas favorisée lors d’un échange de services sexuels contre de l’argent.

Si les personnes prostituées expriment un "choix", celui-ci n’est pas lié à leur autonomie sexuelle mais plutôt à leurs besoins financiers. Le refus de la prostitution n’a pas pour but de brimer la liberté sexuelle des individus mais bien de mettre en place les conditions sociales qui permettront de ne pas brimer cette liberté. Il s’agit justement de défendre l’autonomie sexuelle des plus pauvres et des personnes les plus vulnérables de nos sociétés.

P.-S. :

Pour les réglementaristes, la prostitution serait un simple contrat dont la seule exigence serait le consentement des parties. Que répondez-vous ?

Rhéa :

Les penseurs libéraux font la promotion d’une société individualiste dans laquelle les personnes sont libres d’explorer leurs préférences sexuelles à condition que les pratiques se déroulent entre adultes consentants. En présentant la prostitution comme un simple contrat entre deux individus, ils échouent, selon moi, à définir l’autonomie sexuelle.

En effet, cette autonomie ne peut exister qu’en l’absence de contraintes économiques. Le point de vue néoabolitionniste considère justement que la prostitution empêche l’expression des préférences sexuelles, notamment des femmes et des plus pauvres.
Il dénonce non seulement le fait que cette industrie repose précisément sur le renoncement de ces personnes à l’autonomie sexuelle mais aussi sur l’exaltation d’une culture qui suppose que les besoins sexuels de certains individus, en l’occurrence masculins, puisse s’imposer à d’autres individus, en l’occurrence majoritairement féminins, en échange d’argent.

P.-S. :

Les réglementaristes se prétendent "neutres" en matière de sexualité : une neutralité que vous mettez fortement en cause…

Rhéa :

La position néoréglementariste, qui se prétend neutre en matière de sexualité, alimente pourtant l’idée que la sexualité, spécialement des hommes, nécessite des soins particuliers, à la demande. Elle semble donc constituer un besoin impératif qui irait au delà de toute éthique sociale et obligerait à tolérer ses dérives, même les plus extrêmes. On ne peut pas parler de neutralité…

P.-S. :

Les réglementaristes avancent également l’idée que "l’achat de services sexuels" relèverait du droit à la vie privée.

Rhéa :

Les néoabolitionnistes, en s’opposant à la prostitution, se voient en effet accusés d’attenter à la vie privée et d’aller à l’encontre de l’idée libérale selon laquelle l’Etat n’a pas à se mêler de ce qui se passe dans la chambre à coucher. D’abord, on peut se demander si cette défense de la protection de la vie privée n’a pas surtout pour but de protéger les hommes de l’interférence de l’Etat.

Ensuite, dans la prostitution, se mêlent à la sexualité – du domaine privé - l’achat et la vente, qui sont du domaine public.
Pour ce qui est de protéger la vie privée, ce sont selon moi les néoabolitionnistes qui défendent le mieux cette valeur. Pour eux, la prostitution fait empiéter la sphère publique du travail sur la sphère privée de la sexualité. Si la sexualité doit rester un domaine privé, ce n’est pas seulement l’Etat qui doit rester hors de la chambre à coucher ; c’est aussi le commerce.

Traiter le sexe comme un objet de commerce aboutirait à réduire l’autonomie sexuelle en mettant en danger presque tous les travailleurs ; ils pourraient, pour garder leur emploi, subir des pressions de la part d’employeurs pour des relations sexuelles contre leur volonté.
Si le sexe devient un travail, pourquoi alors ne pas imposer à une secrétaire d’offrir des services sexuels à des clients ? La barrière séparant le sexe et le commerce a non seulement pour but de garder le milieu du travail en dehors des pressions sexuelles mais aussi de garder les relations sexuelles privées en dehors du commerce.

P.-S. :

Des réglementaristes usent aussi de l’argument voulant que la sexualité doive être, comme le travail domestique, un "service" rémunéré…

Rhéa :

Ils affirment que les femmes fourniraient des services sexuels gratuits à leurs maris et que cela constituerait, comme les tâches domestiques non rémunérées, une forme d’exploitation à l’intérieur du patriarcat. Cette assimilation entre sexualité et travail « invisible » des femmes est erronée et même dangereuse. D’abord, les maris non plus ne sont pas rémunérés pour l’activité sexuelle. Il faut donc qu’il y ait asymétrie dans la conception de la sexualité selon les genres pour que seule l’activité sexuelle de la femme apparaisse comme un "travail".

Ensuite, il ne faut pas confondre la nature des deux activités : le travail domestique est une activité essentielle au bon fonctionnement de toute société humaine et de chaque individu. Même s’il n’a jamais été reconnu précisément parce que c’étaient des femmes qui l’exécutaient, il n’a pas obligatoirement à être effectué par une femme.
La sexualité, en revanche, ne constitue pas une activité détachée de ce qui nous fait en tant que sujets. Comme le dit parfaitement Julia O’Connell Davidson : « si l’absence d’un contact sexuel représentait une menace pour la santé et qu’une personne avait besoin de se voir prescrire les "soins" d’une "travailleuse du sexe" de la même façon qu’une autre a besoin des soins d’un docteur ou d’une infirmière quand elle souffre d’un mal particulier, alors l’apparence physique, l’âge, le sexe et la race du/de la prostitué-e ne seraient pas des critères importants. »

P.-S. :

Pour vous, la rémunération de l’un ou de l’autre n’a pas les mêmes répercussions sociales…

Rhéa :

La rémunération du travail domestique et du soin des enfants - effectués par un homme ou une femme - m’apparaît légitime, même s’il y a un danger d’inciter les femmes à conserver un rôle traditionnel. Il s’agit d’une reconnaissance d’un travail dit "invisible".

À l’inverse, la rémunération du "service sexuel" renforce l’idée que les femmes peuvent être exclues du monde du travail, ou sous-rémunérées, et que la non réciprocité sexuelle doit demeurer inchangée car elle rapporterait financièrement aux femmes. L’industrie du sexe tire profit de cette asymétrie sexuelle et mine par le fait même l’égalité entre hommes et femmes et le droit, pour tous et toutes, à une sexualité désirée.
En refusant de reconnaître la prostitution comme un travail, les abolitionnistes cherchent à combattre la conception traditionnelle de non réciprocité sexuelle entre hommes et femmes que la reconnaissance de la prostitution viendrait légitimer et renforcer.

jeudi, avril 14 2011

[Article] Namibie : Les miracles du revenu minimum garanti

Article du Courrier International datant du 29 avril 2010
intitulé : Namibie / Les miracles du revenu minimum garanti.

Il s'agit d'une interview de Herbert Jauch.
Ce chercheur spécialiste des syndicats a dirigé jusqu’en janvier 2010 l’Institut namibien des ressources et de recherche sur le travail (LARRI). Il est membre de la Basic Income Grant Coalition (BIG) de Namibie. Cette alliance, qui regroupe Eglises, syndicats, associations de jeunes et de femmes, a lancé le revenu minimum garanti en 2008. Grâce à ce projet financé par des dons, les 1000 habitants d’Otjivero âgés de moins de 60 ans ont reçu 100 dollars namibiens (10 euros) par mois pendant deux ans.

BIG-Namibie.jpg

"Dans le cadre d’un projet pilote, les habitants d’un village déshérité ont reçu chaque mois l’équivalent de 10 euros. Deux ans plus tard, le bilan est vraiment positif, se félicite Herbert Jauch, le responsable du programme.



C.I :
On débat dans de nombreux pays de l’instauration d’un revenu minimum garanti (RMG) qui ne soit assorti d’aucune condition contraignante. Pourquoi la Namibie a-t-elle pris les devants avec ce projet pilote ?

HERBERT JAUCH :
La Commission d’orientation nationale a, dès 2002, recommandé le versement d’un revenu minimum à tous les citoyens pour mieux s’attaquer aux inégalités sociales. La Namibie est, selon les Nations unies, le pays qui présente les plus grands écarts de revenus au monde. Comme le gouvernement n’a pu se décider à instaurer un RMG, les Eglises et les syndicats ont lancé un projet pilote.

C.I :
Pourquoi avoir choisi le petit ­village d’Otjivero ?

HERBERT JAUCH :
Nous voulions un endroit dans lequel il ne se passerait rien pendant au moins deux ans : pas de programme de création d’emplois, pas de projet d’aide au développement, pas de rentrées financières. Il ne devait y avoir que le revenu minimum, soit 100 dollars namibiens (environ 10 euros) par personne et par mois. Otjivero avait l’air d’être dans une situation tellement désespérée que nous avons pensé au début que le RMG ne servirait pas à grand-chose, hormis une légère réduction de la pauvreté.

C.I :
Recevoir de l’argent sans condition, sans travailler, est-ce que cela peut faire bouger les choses ?

HERBERT JAUCH :
Ce sont des préjugés auxquels nous nous heurtons en permanence. Si les gens d’Otjivero ne travaillent pas, ce n’est pas parce qu’ils sont paresseux mais tout simplement parce qu’il n’y a pas de travail. Le fait est qu’ils n’ont pas dépensé cet argent pour s’acheter de l’alcool et qu’ils ne l’ont pas dilapidé pour rien.

C.I :
Qu’en ont-ils fait ?

HERBERT JAUCH :
Nous avons pu observer une chose surprenante. Une femme s’est mise à confectionner des petits pains ; une autre achète désormais du tissu et coud des vêtements ; un homme fabrique des briques. On a vu tout d’un coup toute une série d’activités économiques apparaître dans ce petit village. Cela montre clairement que le revenu minimum ne rend pas paresseux mais ouvre des perspectives.

C.I :
Vous auriez pu parvenir au même résultat avec des microcrédits ciblés.

HERBERT JAUCH :
Contrairement aux microcrédits et à beaucoup de programmes d’aide au développement classiques, le revenu minimum a un impact non seulement sur la production, mais aussi sur la demande. En Afrique, le pouvoir d’achat se concentre en général dans quelques centres, ce qui force les gens à quitter les campagnes pour les villes, où les bidonvilles finissent par s’étendre. Le RMG permet à des régions rurales de se développer, il crée des marchés locaux et permet aux gens d’être autosuffisants.

C.I :
Quels effets avez-vous pu constater à Otjivero ?

HERBERT JAUCH :
Le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté est passé de 76 à 37 %. Avant l’expérience, près de la moitié des enfants étaient sous-alimentés, aujourd’hui ils sont moins de 10 % ; 90 % finissent leur scolarité, avant, ils n’étaient que 60 %. Et la criminalité a baissé.

C.I :
Pourquoi demandez-vous la création d’un RMG pour tous les Namibiens et pas seulement pour les pauvres ?

HERBERT JAUCH :
Cela demanderait beaucoup trop de travail et coûterait beaucoup trop cher de vérifier les besoins de chacun. De plus, il ne faut pas pénaliser les gens qui ont trouvé un travail ou qui se sont construit une existence. Celui qui gagne bien sa vie et qui est riche reverse le RMG à l’Etat par ses impôts.

C.I :
La Namibie pourrait-elle se permettre de verser un revenu minimum à tous ses habitants ?

HERBERT JAUCH :
La Commission d’orientation l’a calculé depuis longtemps. Le RMG coûterait 5 à 6 % du budget national. Pour le financer, il faudrait relever légèrement le taux maximum d’imposition, qui est de 34 % actuellement, et la taxe sur le chiffre d’affaires. Le gouvernement pourrait également introduire des prélèvements sur les exportations de matières premières et lutter contre l’évasion fiscale.

C.I :
Mais le versement du RMG serait très lourd à gérer.

HERBERT JAUCH :
Bien au contraire ! Les coûts de gestion représentent environ 10 %. A Otjivero, nous avons utilisé des cartes à puce personnelles pour l’identification des intéressés et ça s’est très bien passé. Et la poste namibienne affirme qu’il serait rentable pour elle d’ouvrir un bureau dans chaque ville en cas d’instauration du RMG. Même avec deux retraits d’argent sans frais par mois, ça vaudrait encore le coup.

C.I :
Qu’est-ce qui empêche la Namibie d’introduire le RMG ?

HERBERT JAUCH :
Le gouvernement n’est pas encore tout à fait convaincu. Notre ministre de l’Economie a compris que le revenu minimum constituait un instrument simple et bon marché pour changer les choses. Il y a cependant des résistances du côté du ministère des Finances et de notre Premier ministre, qui émet encore des réserves.

C.I :
L’expérience menée à Otjivero n’a-t-elle donc pas convaincu ?

HERBERT JAUCH :
La pression exercée par le Fonds monétaire international (FMI) n’est pas sans effet en Namibie. Le FMI a présenté des chiffres erronés sur le coût du RMG. Il prend par exemple en compte les plus de 60 ans, alors qu’ils ne sont pas concernés par le RMG. il craint que la Namibie démontre que le RMG fonctionne. Ce système deviendrait alors très intéressant pour des pays comme le Brésil et l’Inde.

C.I :
Comment réagissez-vous à cela ?

HERBERT JAUCH :
Nous faisons le tour du pays avec des gens d’Otjivero pour qu’ils racontent leur histoire. Et nous sommes soutenus partout ! Nous espérons pouvoir arriver à nos fins dans le courant de l’année prochaine. L’important, c’est que la pression de la base soit forte. Quand les électeurs l’exigeront, la SWAPO, le parti au pouvoir, ne pourra plus dire que ça ne l’intéresse pas."

Rapport du projet pilote (en anglais)